Comment concilier progrès pour l’environnement, compétitivité économique et justice sociale, dans la filière cacao ?
Comment concilier progrès pour l’environnement, compétitivité économique et justice sociale, dans la filière cacao ?
C’est tout l’enjeu de l’étude exploratoire menée par Commerce Equitable France avec le CIRAD pour le compte de l’Agence Française de Développement (AFD), sur une approche innovante : un mécanisme de bonus-malus fiscal à l’exportation du cacao en Côte d’Ivoire. Afin de valoriser les acheteurs engagés et d’encourager d’autres à les imiter, cet outil prévoit un avantage fiscal pour les entreprises adoptant des pratiques commerciales équitables, tout en appliquant une pénalité fiscale à celles qui maintiennent des pratiques conventionnelles.
Les débats sur les leviers d’accompagnement de la transition écologique de l’économie mondiale portent fréquemment sur la dichotomie entre application de normes publiques contraignantes ou promotion de normes volontaires de durabilité. Si la loi a, en principe, le pouvoir de généraliser l’adoption de pratiques rendues obligatoires, les écarts entre la loi et les pratiques réelles – d’achat ou de production – des acteurs des filières peuvent engendrer des résistances compromettant ainsi l’atteinte des objectifs des législateurs. Dans ce contexte, il devient alors crucial de développer des outils d’accompagnement pour soutenir les acteurs économiques dans leurs efforts de transition. Des dispositifs de taxation incitative, tels qu’un mécanisme de bonus-malus fiscal, pourraient justement venir soutenir et rééquilibrer la compétitivité prix des entreprises qui s’investissent financièrement dans ces démarches de conformité, en rendant l’investissement dans la conformité plus rentable.
La filière cacao constitue un cas d’école intéressant pour articuler norme publique de durabilité et incitation économique. En effet, la Côte d’Ivoire et le Ghana d’une part, et l’Union européenne d’autre part, ont adopté des normes de durabilité, respectivement l’ARS-1000 et le RDUE, qui s’appliquent aux organisations de producteurs et aux entreprises européennes. Or, la pauvreté des familles de producteurs et le faible niveau d’organisation des planteurs sont deux freins majeurs aux investissements élevés et nécessaires pour l’adoption de cette norme. Côté aval, les quelques chocolatiers qui engrangent la majorité des marges de la chaîne de valeur pourraient prendre ces coûts en charge mais la situation d’ultra-concurrence qui les régit freine les investissements et favorise les positions attentistes. Il y a donc un réel besoin de politiques qui préservent la compétitivité prix des entreprises engagées dans des démarches volontaires à impact pour assurer un nivellement vers le haut des pratiques d’achat et de production.
Face à ces constats, le CIRAD et Commerce Équitable France ont mené une étude, en partenariat avec l’AFD, pour évaluer l’opportunité d’un dispositif de bonus-malus à l’export du cacao en Côte d’Ivoire, qui incite les entreprises à accompagner la mise en conformité des coopératives qui les fournies et à ainsi s’approvisionner auprès de fournisseurs conformes aux nouvelles réglementations publiques.
Concrètement, les entreprises qui versent des primes de conformité aux coopératives qui les fournissent pourraient bénéficier de réductions de taxes à l’exportation, ce qui leur permettrait de préserver leur compétitivité prix. De l’autre côté, les opérateurs qui ne s’engagent pas dans cette transition seraient soumis à une fiscalité plus élevée et progressive. Ce mécanisme de taxation différenciée peut judicieusement s’articuler avec des initiatives volontaires de durabilité, telles que des certifications de commerce équitable qui joue un rôle de levier en termes de conformité, à travers des mécanismes de reconnaissance ou d’équivalence.
Ce mécanisme a été exploré avec le concours de nombreuses parties prenantes : le Conseil Café-Cacao, l’Organisation Internationale du Cacao, la Commission européenne, des entreprises exportatrices, le Ministère des Eaux et Forêts de Côte d’Ivoire, et bien sûr, les acteur·rices du commerce équitable, comme le RICE (réseau ivoirien du commerce équitable).
La transition sera d’autant plus fluide qu‘elle est économiquement accessible pour les producteur·rices, et qu’elle n’handicape ni les entreprises, ni les États qui s’engagent. Ce bonus-malus fiscal pourrait devenir un outil stratégique pour accélérer la transformation de la filière cacao et d’autres filières agricoles, tout en garantissant une plus grande justice sociale et économique.
🔎 Pour en savoir plus et revivre la restitution publique de cette étude, qui a rassemblé plus de 400 personnes en novembre dernier, c’est par ici :
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